Le Point — La cigarette électronique dans la ligne de mire du Parlement européen

Le Point, le 8 Octobre 2013

l’Office français de prévention du tabagisme, allié, pour la première fois, à l’association des usagers AIDUCE, qui lancent « un cri d’alarme » conjoint pour s’opposer à la médicalisation de ce produit.

 

Source : http://www.lepoint.fr/societe/la-cigarette-electronique-dans-la-ligne-de-mire-du-parlement-europeen-08-10-2013-1740230_23.php

De notre envoyé spécial à Strasbourg, Alain Franco

« Je n’ai jamais vu ça ! » Vice-président de la Commission santé du Parlement européen, chargé du dossier du tabac pour le groupe des Verts, Carl Schlyter n’en revient toujours pas du harcèlement des lobbies du tabac. « Mon compte Twitter a été submergé de messages de personnes qui disent à quel point la cigarette électronique les aide à arrêter de fumer. Mais j’ai vérifié : tous ces messages proviennent de comptes créés dans un laps de temps court, au printemps 2013, et suivis exclusivement par les compagnies de tabac et de cigarettes électroniques. J’ai aussi reçu des paquets de mails d’Italie, toujours la nuit aux mêmes heures. Je m’interroge : ces messages ont tout l’air d’avoir été générés par des robots. »

Carl Schlyter n’est pas un cas isolé. Le quotidien britannique The Guardian a révélé le mois dernier que Philip Morris International a envoyé 160 lobbyistes au Parlement pour convaincre, souvent lors de repas au restaurant, 161 eurodéputés d’assouplir le texte qui sera soumis à leur vote mardi, en séance plénière à Strasbourg. Coût de l’opération pour l’un des géants mondiaux du tabac : 1,5 million d’euros. Une paille, face aux enjeux pour l’industrie ! Ces lobbyistes sont omniprésents au Parlement. Plusieurs députés se sont étonnés que des discussions à huis clos aient été transmises aux industriels dès les heures suivantes.

Cigarettes électroniques : des adeptes de plus en plus nombreux

Car, adoptés en l’état, les textes porteraient un coup dur aux majors du tabac, principalement, mais aussi aux détaillants, et notamment ceux qui surfent sur la vague ascendante de la cigarette électronique qui attire chaque mois 15 % d’adeptes de plus. En France, il y aurait 1,5 million d’utilisateurs réguliers, selon une enquête du site Lemondedutabac.com. Les textes visent à la fois la cigarette traditionnelle et son avatar à la glycérine, l’e-cigarette. Pour la première fois, ils prévoient d’interdire les arômes, principalement les cigarettes au menthol, qui adoucissent la fumée et réduisent le réflexe de toux. « Le menthol est un facilitateur d’accès à la cigarette pour les jeunes. Et les études ont montré que ceux qui fument des menthols ont plus de mal à cesser de fumer », affirme Carl Schlyter. Seraient également bannies les cigarettes ultra-fines, qui s’adressent au public féminin. « Elles sont marketées comme des cosmétiques. Regardez leurs paquets : on dirait des tubes de rouge à lèvre. » Quant aux avertissements de santé, ils devraient occuper au moins 75 % de la surface des paquets.

Reste la cigarette électronique, qui attire, par la courbe de ses ventes, tous les cigarettiers du monde entier, confrontés au recul des ventes de la cigarette traditionnelle dans de nombreux pays. La Commission européenne propose de soumettre l’e-cigarette à des autorisations de marché, de ne plus autoriser la vente libre, et de la confiner au secteur pharmaceutique, comme les patchs de nicotine. « La cigarette électronique doit retrouver son rôle : aider à arrêter de fumer. Elle doit être classée comme un médicament qui doit être analysé avant sa mise sur le marché », plaide Frédéric Vincent, porte-parole de la Commission. Il rappelle que « c’est un produit neuf. On n’a pas encore assez de recul pour juger de la dangerosité de certains ingrédients ».

« La cigarette électronique n’est pas un objet de mode »

Un avis qui n’est pas partagé par une portion croissante des intervenants sur le tabac, comme l’Office français de prévention du tabagisme, allié, pour la première fois, à l’association des usagers Aiduce, qui lancent « un cri d’alarme » conjoint pour s’opposer à la médicalisation de ce produit. Mais la Commission et une partie du Parlement est d’un avis différent : cette nouvelle façon de fumer attirerait les jeunes, notamment du fait de la présence d’additifs de goût aux noms « funs » : « Mexikan kiss, Sex on the beach, Stoned Smurf ». « La cigarette électronique ne doit pas devenir un objet de mode », lance Frédéric Vincent.

Le débat de mardi au Parlement sera donc chaud comme la braise d’une cigarette allumée. « Le vote sera très très serré », pronostiquent tous ceux qui suivent le dossier. 300 amendements ont été déposés, dont celui d’une libérale belge, Frédérique Ries. Appuyée par le parti conservateur majoritaire PPE, sa proposition maintient la vente libre, hors pharmacie, de la cigarette électronique dans la quasi-totalité des cas. Autre éventualité : les députés repoussent le vote du texte pour diverses raisons, l’une d’entre elles étant la demande de plus d’informations sur les risques pour la santé de la cigarette électronique. L’adoption de cet ensemble de loi contraignantes pour l’industrie du tabac serait alors renvoyée à après les élections européennes. Avec un nouveau Parlement et une nouvelle Commission, tout le travail ou presque serait à refaire. Ce serait une victoire totale pour les cigarettiers. Inquiets, 16 ministres de la Santé de l’UE, dont Marisol Touraine, ont lancé vendredi un appel au Parlement pour voter afin « que toutes les institutions de l’UE s’accordent avant la fin de l’année » sur les nouvelles lois anti-tabac.

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