“On va y arriver, la fin du tabac va exister dans les décennies à venir dans le monde”, espère ce pneumologue de 66 ans, qui se bat depuis quarante ans contre le tabac. Il concède avoir commencé à plancher sur le sujet de l’e-cigarette en 2012, en présidant un rapport d’experts pour l’OFT. Il reconnaît aussi avoir changé d’avis. “J’ai changé, mais c’est aussi le produit qui a changé, il marche bien depuis 2012”, précise-t-il.
“Oui, il a changé, il avait une position très négative sur l’e-cigarette, mais il a vu que c’était efficace dans le sevrage tabagique, que ce milieu n’était pas infesté par l’univers du tabac… Aujourd’hui, on se voit régulièrement”, indique Brice Lepoutre, président de l’Association indépendante des utilisateurs de la cigarette électronique (Aiduce).
Le Monde, Pascale Santi, 3/3/2014
“Fumer, c’est un peu comme prendre l’autoroute à contresens. Vapoter, c’est rouler à 140 km/h au lieu de 130 km/h.” Bertrand Dautzenberg, professeur de pneumologie à l’université Pierre-et-Marie-Curie, pneumologue à La Pitié-Salpêtrière (Paris) et président de l’Office français de prévention du tabagisme (OFT), se plaît à rappeler cette comparaison.
Encore appelée vapoteuse, ou e-cigarette, la cigarette électronique “bouleverse complètement la donne de la guerre au tabac”, explique-t-il dans un livre, L’e-Cigarette pour en finir avec le tabac ?, sorti le 26 février (Ixelles éditions, 222 pages, 9,90 euros).
Inventée par un pharmacien chinois, Hon Lik, la cigarette électronique est apparue en France en 2010 et connaît depuis un fort engouement. Entre 8 et 9 millions de Français (18 %) ont déjà vapoté, et 1,1 à 1,9 million sont des utilisateurs réguliers, selon l’enquête Etincel, réalisée par l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT). Conséquence, les ventes de tabac ont reculé de 6,2 % en 2013, estime l’OFDT.
Une baisse que le professeur Bertrand Dautzenberg voudrait voir se poursuivre. “On va y arriver, la fin du tabac va exister dans les décennies à venir dans le monde”, espère ce pneumologue de 66 ans, qui se bat depuis quarante ans contre le tabac. Il concède avoir commencé à plancher sur le sujet de l’e-cigarette en 2012, en présidant un rapport d’experts pour l’OFT. Il reconnaît aussi avoir changé d’avis. “J’ai changé, mais c’est aussi le produit qui a changé, il marche bien depuis 2012”, précise-t-il. Certes, c’est “un produit toxique et addictif”, mais “100 à 1 000 fois moins dangereux que le tabac”.
“Oui, il a changé, il avait une position très négative sur l’e-cigarette, mais il a vu que c’était efficace dans le sevrage tabagique, que ce milieu n’était pas infesté par l’univers du tabac… Aujourd’hui, on se voit régulièrement”, indique Brice Lepoutre, président de l’Association indépendante des utilisateurs de la cigarette électronique (Aiduce). Le livre du professeur Dautzenberg “vise à aider les fumeurs à goûter au plaisir de vapoter, au plaisir de s’éloigner de la tueuse qu’est la cigarette”. Tel est son but : éradiquer le tabac, une “arme de destruction massive”, responsable de 100 millions de morts au XXe siècle, de 73 000 morts par an en France.
“Le carabin de service”
“Bertrand Dautzenberg a fait cette bascule incroyable, de la compréhension de la clinique individuelle à la santé publique, ce qui n’est pas un parcours facile pour un clinicien”, explique le docteur François Bourdillon, responsable du pôle santé publique, évaluation et produits de santé du groupe hospitalier universitaire Pitié-Salpêtrière Charles-Foix.
“Depuis quelques années, c’est devenu mon principal combat”, écrit Bertrand Dautzenberg dans son livre La République enfumée. Les lobbies du tabac sous Chirac et Sarkozy : du meilleur au pire (éd. OFTA, 2012). “Je me suis alors aperçu que pour un pneumologue il était plus efficace de prévenir des méfaits du tabagisme que de traiter les cancers du poumon”, poursuit le médecin qui a participé à la création de l’association Paris sans tabac, en 1991, puis à celle de l’OFT à la fin des années 1990.
En début de carrière, “non seulement je fumais, raconte-t-il, mais j’étais chargé d’acheter, en tant qu’économe, des cigares pour les internes. J’étais le carabin de service et, comme mes condisciples, je fumais allègrement”.
Plan cancer de Jacques Chirac
Il était le seul de sa grande famille, cinq frères et cinq soeurs, à être adepte de la cigarette. Aucun de ses cinq enfants n’a jamais fumé non plus. Dans la bibliothèque de médecine qu’il fréquentait pendant ses études flottait en permanence un épais nuage de fumée, se souvient-il. Cela ne choquait personne. Dans cette époque post-soixante-huitarde, le tabac était omniprésent.
Ce n’est que dix ans plus tard que Bertrand Dautzenberg arrête de fumer. Lorsqu’il arrive dans le service de pneumologie de La Pitié-Salpêtrière, en 1972, où son patron, le professeur Christian Sors, se soucie déjà du tabagisme et de ses méfaits sur la santé.
Bertrand Dautzenberg ne cesse de vitupérer contre l’industrie du tabac. Il salue souvent le plan Cancer de Jacques Chirac qui a déclaré la guerre au tabac et dénonce celui “calamiteux” de Nicolas Sarkozy. Son discours est rodé. Les médias le sollicitent : la veille du troisième plan Cancer, annoncé par François Hollande le 4 février, il est sur les ondes d’Europe 1 le matin, invité du “Grand Journal” de Canal+ le soir, le lendemain sur France Info, BFM TV, etc.
Sentant que la lutte contre le tabac était un temps menacée, il n’a pas hésité à mettre la pression, en publiant le 18 janvier un communiqué cinglant au nom de l’OFT : “Si l’Elysée refuse les mesures de lutte contre le tabac dans le troisième plan Cancer, la présidence donnera un signal fort de son soutien aux multinationales du tabac !”
Il se dit plutôt satisfait par les annonces du dernier plan, qui s’est fixé de réduire d’un tiers le nombre de fumeurs d’ici à 2019. Il s’est aussi battu auprès des autorités européennes pour la directive encadrant la cigarette électronique, votée le 26 février. “Je me fiche de passer par la porte, par la fenêtre”, affirme ce médecin que certains trouvent extrémiste.
Une question l’agace : celle des conflits d’intérêts. Lors d’une émission de radio, il s’est vu attaqué sur ses rapports avec les labos pharmaceutiques qui vendent des produits de sevrage tabagique. “Tous mes liens sont publics, je ne touche pas d’argent, je ne roule pour personne”, se défend-il.
la cigarette électronique a changé ma vie depuis 9 mois